Le Souterrain Refuge

Ci-joint l’intégralité de la communication faite par M. A.Fages devant les membres de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne.

PAR A. FAGES

Un peu au sud de Castelnaudary, sur la rive droite du canal du Midi, s’élève un système de collines que l’on nomme las Serros dans le pays et qui sont les derniers contreforts des collines du Lauraguais ; leur surface, entièrement dénudée et livrée aujourd’hui à la culture des céréales, était, dans l’antiquité, couverte de forêts de chênes qui se transformèrent au moyen âge en bois taillis de même essence. C’est sur le penchant d’une de ces collines que, très fortuitement en décembre dernier (14 décembre 1905), l’on fit la découverte du souterrain qui nous occupe. Un bouvier, labourant un champ à 150 mètres environ de la métairie de Borde-Neuve, sise sur la commune du Payra, vit tout à coup une de ses bêtes s’enfoncer dans le sol ; il dégagea avec quelque peine son boeuf de cette fondrière, et constata qu’un trou béant s’ouvrait à ses pieds ; il tenta en vain de le sonder au moyen de son aiguillon, il ne put en atteindre le fond. Il fut chercher du renfort, on agrandit l’excavation et on pénétra par cette ouverture, dans une salle creusée dans le roc. On découvrit alors une première entrée (n° 1 du plan), composée d’un étroit couloir en escalier qu’on déblaya assez facilement et qui donnait accès clans la campagne, du côté de l’ouest. Successivement on découvrit quatre salles. La découverte fît quelque bruit, les journaux locaux publièrent la nouvelle et nous nous attendions d’un moment à l’autre à apprendre qu’on l’avait explorée. Malgré notre impatience d’aller voir de près ces grottes artificielles, ce n’est que ces derniers jours que nous pûmes enfin nous rendre au Payra. Arrivé sur les lieux, nous nous enquîmes auprès de l’instituteur de cette localité si les grottes avaient été fouillées depuis leur mise à jour ; il me dit que non, que sauf les quelques curieux qui accompagnaient le bouvier lors de la première exploration, personne n’y était plus descendu. Aussi ce n’est pas sans une certaine émotion que nous descendîmes les quelques marches qui nous conduisirent dans la première salle, que nous qualifierons d’anti-grotte, étant données ses dimensions.

Nous explorâmes avec attention cette première salle, nous fûmes frappé tout d’abord par la vue de l’emplacement d’un foyer au pied et au milieu de la paroi droite cette paroi a été même un peu excavée, dans les détritus de cendres mêlées de terre, nous ne dûmes recueillir que quelques débris de poterie fortement micacée. Revenant vers l’entrée, c’est-à-dire vers le couloir en escalier, nous remarquâmes qu’une feuillure assez prononcée avait été pratiquée dans les parois de chaque côté de la porte, feuillure où devaient s’encastrer une où plusieurs dalles servant à la fermeture du couloir. 

Cette salle mesure 3 mètres sur 1m40 et la hauteur de la voûte en cintre surbaissé est de2m40. En face de l’entrée et au milieu de la paroi formant le fond est pratiqué un couloir mesurant 65 centimètres de largeur et 1m60 de hauteur, long de 1m40 ; à cette distance, il se bifurque k droite et à gauche, donnant accès du côté droit à une salle très bien conservée qui mesure 4 mètres sur 5 mètres ; dans la voûte, qui s’élève à 2m40,sont pratiqués deux trous cylindriques de 10 à 15 centimètres de diamètre, ils arrivent à la surface du sol extérieur ; ils devaient sans nul doute servir à l’aération de la salle.

Le couloir de gauche, de 2m05 de long, conduit dans une troisième salle de 4 mètres sur 4 mètres, toujours de la même hauteur, la voûte n’est ici percée que d’un seul trou d’aération. Un couloir de 70 centimètres de long fait communiquer la troisième salle avec la quatrième et dernière qui a les mêmes dimensions que la précédente. Au milieu de la paroi du fond est pratiqué un deuxième escalier qui fait communiquer cette dernière salle avec l’extérieur.

Nous devons, avant d’aller plus loin, signaler une particularité singulière : au point où le couloir qui fait communiquer l’anti-grotte avec les salles 2 et 3, se bifurque, on avait voulu le pousser JDIUS en avant et en droite ligne, mais la roche étant en ce joint devenue beaucoup plus dure, le travail d’excavation fut arrêté à une très faible profondeur.

Ces salles sont creusées dans la molasse, espèce de grès facile à travailler, mais cependant assez consistant, puisque les voûtes surbaissées supportent près de 1m50 à 2 mètre de terrain au-dessus d’elles. Cette roche (molasse de Castelnaudary) est un des termes du Bartonien, qui est largement représenté dans cette partie du département de l’Aude.

Nous avons exploré minutieusement les coins et recoins du souterrain, mais, hélas, nos recherches furent infructueuses; nous avons dû nous contenter des quelques débris de poteries trouvés dans le foyer et de constater le soin avec lequel a été fait le ravalement des parois des quatre salles ; les coups donnés probablement avec la hache ou l’herminette en pierre polie, sont très réguliers. Les couloirs sont bien percés et d’un facile accès, bien défendables en cas de surprise d’un ennemi. Les entrées et les trous d’aération étaient très bien dissimulés, rien à l’extérieur ne dénonçait la présence de ce grand travail souterrain. Malheureusement les premiers visiteurs qui ont pénétré clans ces grottes ont malencontreusement voulu agrandir les prises d’air qui percent la voûte en plusieurs endroits, ils l’ont fait d’une façon inconsidérée, aussi les pluies de la fin de l’hiver et du printemps ont pénétré par ces larges baies, dégradant fortement les voûtes qui, supportant mal le poids des 2 ou 3 mètres de terrain qui les surmontent, s’effondrent à tout moment, menaçant d’ensevelir le tout sous une épaisse couche de terre. C’est ce cjui nous a empêché de pratiquer la moindre fouille ; il faudrait, par mesure de prudence, étançonner solidement les voûtes, avant que de toucher le sol des quatre salles. Seule, la hache en pierre polie trouvée par les premiers visiteurs des souterrains, témoigne de la présence de l’homme préhistorique. Peut-être est-ce lui qui les a creusés? Dans tous les cas, ils ont dû être habités pendant de longues années, l’usure des marches des deux escaliers et des parois des couloirs étroits en témoignent. Pour élucider la question de leur âge, il serait nécessaire de fouiller soigneusement leur sol, mais il faudrait pour cela disposer de beaucoup de temps et d’argent ; une société seule peut tenter l’aventure.